Superviser avec ses émotions : comprendre et accompagner les interactions de groupe

Supervision de groupe

Les émotions comme boussole intérieure du superviseur

Dans le cadre d’une supervision, le rôle du superviseur ne se limite pas à organiser et animer les échanges. Il exige une posture particulière, appelée position méta, qui repose sur une capacité à observer les dynamiques du groupe tout en restant connecté à ses propres émotions. Loin d’être un obstacle, elles deviennent des indicateurs précieux pour accompagner le groupe vers des transformations profondes et constructives.

Ces émotions peuvent être personnelles, en lien avec la problématique interne du superviseur, ou être des signaux pertinents pour comprendre ce qui se joue dans le groupe.

Résonance émotionnelle en lien avec la dynamique de groupe :

Le malaise face au silence

Un silence prolongé peut donner au superviseur l’impression qu’il doit « faire quelque chose ». Cette sensation peut être le reflet d’une gêne collective non exprimée explicitement.

Exemple : Un groupe reste muet après une question importante. Le superviseur ressent une gêne, peut-être un doute sur sa légitimité.

Hypothèse clinique du superviseur : «Ce malaise que je ressens, reflète-t-il une hésitation ou une gêne collective ? »

La peur face au conflit

Quand les échanges deviennent tendus, le superviseur peut craindre que le cadre se fragilise ou qu’il perde le contrôle.

Exemple : Deux participants se confrontent ouvertement, et le superviseur ressent une tension dans son corps.

Hypothèse clinique du superviseur : « La tension que je ressens me renseigne t-elle sur des enjeux importants qui ne se disent pas ? »

La frustration face à l’évitement

Lorsqu’un groupe contourne un sujet sensible, le superviseur peut ressentir de l’agacement ou de l’impatience.

Exemple : Un participant dévie systématiquement la discussion dès qu’un sujet délicat est abordé.

Hypothèse clinique du superviseur « Mon agacement reflète-t-il une peur commune ? Comment puis-je inviter le groupe à l’explorer ? »

Le doute face à une critique personnelle

Lorsqu’un participant questionne le cadre ou les interventions du superviseur, cela peut susciter du doute ou un besoin de se justifier.

Exemple : Un participant dit : « Je ne vois pas où vous voulez en venir. » Le superviseur ressent une gêne ou une remise en question de sa méthode.

Hypothèse clinique du superviseur : «Le doute que je ressens est-il en miroir du doute que pourrait ressentir le participant ? »

L’impuissance face à une impasse

Quand le groupe semble tourner en rond ou stagner, le superviseur peut se sentir inutile ou démuni.

Exemple : Après plusieurs tentatives, les échanges restent bloqués sur un même point.

Hypothèse clinique du superviseur : « Ce sentiment d’impuissance indique-t-il une dynamique plus profonde à débloquer où chacun se sent démuni ? »

Résonance émotionnelle en lien avec la problématique interne du superviseur

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Le rôle du sauveur

Un superviseur, face à une équipe en conflit, peut ressentir un besoin impérieux de proposer des solutions ou de résoudre le problème à la place du groupe. Si cette réaction n’est pas interrogée, elle peut traduire une résonance avec des situations personnelles où il se sentait responsable du bien-être des autres. Ce besoin de « sauver » risque de court-circuiter le processus, empêchant le groupe de développer sa propre autonomie.

La peur de l’autorité ou du conflit

Un superviseur ayant une histoire personnelle marquée par une crainte de l’autorité peut éviter de poser des cadres clairs face à un participant ouvertement transgressif. Par exemple, il pourrait minimiser un comportement perturbateur par peur de « s’attirer des ennuis », au lieu d’intervenir pour protéger le groupe.

La quête de reconnaissance

Si le superviseur cherche inconsciemment à être apprécié ou valorisé, il pourrait sur-adapter ses interventions pour plaire à l’équipe, au détriment de son rôle. Cela peut se manifester par un excès de validation des propos des participants, ou par un évitement des sujets difficiles pour ne pas risquer de déplaire.

La reproduction de schémas familiaux

Un superviseur ayant grandi dans une dynamique familiale où elle devait arbitrer des conflits entre parents pourrait inconsciemment rejouer ce rôle en supervision. Par exemple, face à des désaccords dans une équipe, elle pourrait s’impliquer émotionnellement pour apaiser les tensions, sans s’autoriser à analyser les processus sous-jacents.

L’identification excessive

Un superviseur ayant vécu une situation professionnelle similaire à celle d’un supervisé (comme un conflit hiérarchique) pourrait projeter ses propres ressentis ou expériences dans son accompagnement. Cela peut le conduire à soutenir un point de vue de manière biaisée ou à interpréter des dynamiques en fonction de son vécu, plutôt que des faits observés.

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Les émotions comme outil d’intervention

Les émotions du superviseur ne sont pas des distractions, mais des informations utiles à intégrer dans le processus de supervision. Voici comment les utiliser de manière constructive :

  1. Accueillir ses émotions : Reconnaître et accepter ce qui est ressenti, sans jugement.
  2. Interroger leur origine : Se demander : « Cette émotion est-elle liée à une dynamique du groupe ou à une résonance personnelle, ou les deux ? »
  3. Partager avec le groupe, avec prudence et de manière adaptée :

– De manière implicite si le groupe n’est pas suffisamment sécurisé : « Dans cette situation, nous pourrions être amenés à nous sentir en tension.»

– De manière explicite si le groupe est suffisamment sécurisé et apte à explorer son fonctionnement : « Je remarque que je me sens tendu en ce moment. Cela reflète peut-être quelque chose qui se passe dans notre discussion. Qu’en pensez-vous ? »

  1. Réguler les émotions : Utiliser ses ressentis comme un vecteur de partage émotionnel empathique, tout en veillant à ne pas surcharger le groupe avec des réactions personnelles.

 

Les pièges d’un superviseur non attentif à ses émotions

Un superviseur qui ignore ses émotions risque de reproduire des schémas inefficaces ou de nuire à la dynamique du groupe. Le groupe sera alors en difficulté pour s’approprier ses émotions et son fonctionnement, limitant ainsi sa responsabilisation et son autonomisation.

Réagir au lieu d’accompagner : Une intervention impulsive peut couper court à un échange important.

Projeter ses propres enjeux : Par exemple, chercher à apaiser un conflit pour éviter sa propre anxiété, ou au contraire provoquer pour répondre à une frustration personnelle.

Se déconnecter émotionnellement : Ignorer ses émotions peut entraîner une distance excessive, limitant la capacité à percevoir les besoins du groupe.

 

Conclusion : les émotions, un outil clé pour le superviseur

Écouter ses émotions est une compétence essentielle pour tout superviseur. En les intégrant comme un outil d’analyse et d’intervention, il devient possible de comprendre les tensions, d’accompagner les insécurités et d’accompagner le groupe vers un changement profond. Loin d’être un frein, les émotions du superviseur deviennent un moteur, à condition d’être accueillies avec curiosité et utilisées avec discernement. Ainsi, la posture méta du superviseur se renforce, au service des dynamiques du groupe et de son évolution.