Supervisant de nombreux psys depuis plusieurs années, j’ai vu progressivement apparaître la notion de syndrome de l’imposteur dans mes supervisions.
Pour rappel, ce syndrome a été décrit pas deux psychologues américaines, Pauline Rose Clance et Suzanne Ament Imes, en 1978 à partir d’une étude sur cent cinquante femmes occupant des hauts postes, ayant des diplômes élevés et reconnues dans leur domaine. Ces femmes, bien qu’intelligentes et compétentes, ne s’attribuaient pas leur propre réussite et ne se sentaient pas légitime d’être à leur poste. Ne se sentant pas à la hauteur, elles avaient peur d’être démasquées et que l’on mette à jour la supercherie.
Chez le psy, le syndrome de l’imposteur se manifeste par le sentiment de ne pas être légitime et compétent à sa place de thérapeute, d’une certaine manière d’avoir l’impression de jouer un rôle, et d’avoir peur que le patient le démasque.
Le syndrome de l’imposteur : un ressenti réel, une représentation limitante.
Le thérapeute qui éprouve ce sentiment, même s’il est bien réel, est en risque par un processus de prophétie auto réalisatrice de perdre ses moyens pour accompagner ses patients.
En effet, il y a plusieurs facteurs qui peuvent expliquer ce phénomène sur lesquels je ne m’étendrai pas : une société individualiste valorisant la compétition, le manque de formation universitaire préparant à la pratique professionnelle, les résonnance personnelles du thérapeute…
Mais ce que le psy ressent, c’est qu’il souffre d’un syndrome de l’imposteur et qu’il s’en attribue toute la responsabilité. Il ne se sent réellement pas à la hauteur. Il a un problème personnel, qu’il faut qu’il travail. Il faut qu’il gagne en compétence, qu’il devienne meilleur pour ne plus se sentir être un imposteur.
Cette représentation est limitante car elle oublie une donnée fondamentale dans nos métiers, à savoir la dynamique relationnelle et émotionnelle entre un thérapeute et son patient.
En effet, quelque soit notre niveau de compétence, notre expérience ou notre professionnalisme, nous serons toujours en lien avec les émotions que nous partageons avec nos patients.
Ah oui, cela on en parle pas trop à la fac. Le thérapeute qui doit être neutre et bienveillant en toute circonstance, n’est-ce pas ? Le thérapeute qui doit analyser ses émotions et les mettre de côté dans l’espace thérapeutique.
Oui, mais… c’est oublier que dans la relation thérapeutique les émotions circulent et que bien loin de constituer des obstacles elles peuvent être d’excellents leviers thérapeutiques pour peu que l’on puisse en prendre conscience et les mettre au service de la thérapie.
Et si le syndrome de l’imposteur chez le psy n’était rien d’autre, bien souvent, que le reflet des émotions du patient ?
Le psy qui se sent impuissant, démuni, pas à sa place en parle en supervision. La supervision clinique permet de différencier et nommer les ressentis du psy en lien avec la relation au patient.
Et bien souvent, ce que j’observe c’est que quand un psy éprouve ce qu’il nomme le syndrome de l’imposteur, c’est qu’il partage les émotions de son patient mais qu’il s’en attribue la propriété et donc la responsabilité.
Bien entendu, je peux travailler sur les résonances personnelles du thérapeute, le lien avec sa propre histoire, son contexte de vie personnel et professionnel, et parfois je vais dans cette direction quand je sens qu’il y en a besoin et que le supervisé souhaite l’aborder.
Mais la plupart du temps, je resitue ce ressenti dans la relation thérapeutique et sur la prise de conscience par le thérapeute de ses émotions pour lui permettre d’accompagner plus facilement celles de son patient qui probablement se sent impuissant, démuni, ne se sent pas légitime et ne trouve pas sa place… tout comme le thérapeute.
A ce moment là, le thérapeute éprouve consciemment et émotionnellement le vécu de son patient et se trouve à une bonne place pour utiliser son ressenti et mettre son empathie au service de son patient.
Il n’est donc nécessaire de lutter contre son émotion, il me semble fondamental par contre d’en prendre conscience et de les accueillir comme un matériel thérapeutique potentiellement source d’évolution.
En tant que superviseur, auprès de thérapeutes en individuel ou en collectif, auprès d’institutions en APP ou en supervision, je suis régulièrement traversé par des sentiments d’impuissance, de doute, d’incompétence, d’être perdu, de ne pas me sentir à ma place… J’ai appris à accueillir cela et à le mettre au service des personnes que je supervise et j’en parle évidemment lors de mes propres supervisions.
Ainsi, la prochaine fois que vous éprouverez ce sentiment d’être un imposteur, demandez-vous :
Est-ce que ce que je ressens pourrait être en lien avec ce que vit mon patient ?
Si oui, comment puis-je lui faire expérimenter que j’ai compris cela de lui et que comprends à quel point cela peut être difficile et inconfortable ?
Comment peut-il ressentir qu’il n’est pas seul avec cela ?